Au lever du jour j'ai été surprise par un grand BANG et n'ai pas retrouvé le sommeil. A Bogota, à travers les montagnes, dans le tunnel, près de la rivière.

La critique des Fiches du Cinéma

Voici donc le dernier signal en date émis par l’un des créateurs, et l’un des esprits sans aucun doute, les plus singuliers de notre temps. Signal étonnamment posté de Colombie par un cinéaste dont, jusqu’à présent, les films s’étaient déployés en Thaïlande, son pays d’origine. Qu’en serait-il désormais de ces mystérieuses narcolepsies, de cet engourdissement languide du temps, de la morbidesse des corps portés aux lisières, devenues ésotériques, du rêve et du coma, de ces mystérieuses maladies tropicales, de ces si étranges sensations de moiteur dont ses films étaient le théâtre coutumier ? Et quel tour vraiment venaient y faire ces célèbres actrices que sont Tilda Swinton ou Jeanne Balibar - tout à fait exogènes au cinéma de Weerasethakul hier - que leur présence ici rend exotiques soudain ? Qu’on se rassure, rien de tout cela ne s’est dilapidé dans cette délocalisation, aussi inattendue était-elle, ces présences nouvelles n’ont rien dénaturé. Bien au contraire. Lancée à la poursuite d’un son, un son d’une autorité folle, un son de commandeur d’outre-monde qu’elle est seule à entendre, Jessica, venue à Bogota visiter sa sœur hospitalisée, va vivre, et nous avec, par contumace en quelque sorte, l’une des scènes les plus stupéfiantes et les plus envoûtantes du cinéma contemporain. Avec Memoria, où il est question “d’arrêter le temps” et où le temps précisément semble se déployer des origines de l’humanité à son à-venir, que métaphorise un insolite vaisseau spatial, le cinéaste et plasticien propose une œuvre qui, dans le pH moyen de la piscine du cinéma mondial, se situe à un niveau esthétique, intellectuel, émotionnel, spirituel et intérieur, stratosphérique.